mercredi 22 décembre 2010

Cadeau de Noël

En cadeau de Noël, voici un article publié pour GX mais comme le magazine date d'octobre je vous le publie pour Noël.

Cheers !!

Le blues du joueur de poker.

6 ans, 6 ans que je passe mes soirées et mes week-ends autour du tapis vert. 6 ans que j’entends toujours les mêmes réflexions des joueurs perdants, 6 ans que je gagne, 6 ans que je perds un peu, que je me tape des bad beats, que je prétends que le poker est un mode de vie « a real life style » alors que ce n’est qu’un jeu de cartes..Tout pro ou semi pro a ressenti un jour cette vague à l’âme typique du joueur de poker.

Curieusement, le premier symptôme est un besoin d’authenticité qui se traduit par un rejet complet de cette fameuse vie « balla » qui consiste à dépenser 300€ la nuit en chambre d’hôtel, 1000€ en boite de nuit et tout autant en repas bien arrosés et autres artifices du monde de la nuit. Cet homme est fou, vous allez me dire ! Fou de ressentir un malaise sur cette vie de nabab que beaucoup envient, Fou de commencer à préférer une semaine de vacances dans un gite à la campagne à sept jours au Wynn à Las Vegas. Ce monde de la nuit du poker est très spécial et assez monotone, on rencontre toujours les mêmes personnes, des joueurs de poker pros en mal de reconnaissance ou en manque affectif se saoulant bruyamment à coup de Cristal Roederer, des potiches blondasses à l’affut d’une soirée gratuite, des journalistes en quêtes de déboires de joueurs qui feront un magnifique article dans un vieux blog que personne ne lit ou pire dans un magazine de poker dans la rubrique « people » (rubrique qui ne cesse de grandir..). Les éternelles discussions avec les joueurs pros ou réguliers rencontrés aux quatre coins de France pour les gros tournois, discussions censées être sympathiques et ouvertes mais qui cachent souvent beaucoup de jalousie ou au moins un besoin de se comparer et d’en découdre. Bref, des pseudos copains que l’on prétendra être ses proches amis et que l’on s’empressera d’inviter sur facebook. Ce monde artificiel que l’on vomit chaque jour finit par devenir insupportable.

Un corollaire du rythme de vie du joueur de poker est le décalage par rapport à la société. Le pro se lève vers 15h00 et commence son « travail » vers 20h/21h pour finir vers 4/5h du matin. Le semi pro est bien pire puisqu’il travaille. Donc après une belle journée de labeur, il faut rentrer faire la sieste afin de se préparer à sa session live ou internet qui nous occupera la nuit jusqu’au petit matin et nous permettra de dormir royalement 3 heures avant de repartir au boulot. Et là, pas de temps passé pour améliorer son poker, pas de temps passé sur les analyses de mains des forums, pas de temps passé sur les blogs (a propose le mien est : andtherivercame@blogspot.com). Il faut donc fatalement rajouter au minimum une journée par semaine dédiée à l’amélioration de son niveau de jeu. Et évidemment, il ne reste presque plus rien pour le reste : le sport, les amis, le cinéma et le théâtre, bref la Vraie Vie. Le poker est chronophage et ce n’est pas une nouvelle. Rajoutons à cela l’incompréhension chronique de notre entourage, voire la peur maladive, voire la psychose communicative qui pousse à entendre « Tu sais ce qu’il fait ? Il joue des 4 000€ par soirée au poker, il est devenu accro et dingue à la fois, il va tout perdre !! ». Ca y est ! Nous avons quitté les rails brillants et bien rectilignes de la société bien pensante pour se vautrer dans les bas fonds de la luxure et du jeu de hasard qui mèneront à notre autodestruction après une lente agonie. Même si cette dernière partie m’a toujours fait rire, elle devient un peu pesante avec le temps. Marre de penser que tout le monde pense que je suis devenu un rebut perdu de la société. Heureusement que je travaille et que je ne suis pas pro ! On distingue encore un visage humain sur mon corps de démon, comme si la transformation du loup garou n’était pas encore totale.

Ce que j’observe le plus chez mes amis pros est le manque de reconnaissance. J’en avais déjà parlé la dernière fois sur l’article de septembre sur la première soirée en casino. Le poker est avant tout un jeu individuel et égoïste. Même si on travaille en équipe (et c’est mon cas), il finit toujours par redevenir individuel. Dans l’entreprise, monde que je connais bien, la réussite est généralement collective et si elle est individuelle, elle est partagée au moins avec son supérieur. Quel bonheur et quel accomplissement de célébrer ensemble la fin d’un projet, d’une usine qui sort de terre, d’une certification, d’un retour à l’équilibre après des années de pertes records ! DU CONCRET ! Alors qu’après une excellente semaine de cash game, la bankroll a grossi de 6000€ et « So What ? », nos amis joueurs de poker esquissent un sourire malhabile emprunt de jalousie (c’est normal, eux sont en bad runs et ont perdu 3000€, donc ils s’en foutent un peu de nos gains records. Peut-on les en blâmer ?). L’entourage proche va encore associer cela à une chance hors du commun et nous poussera à vite placer cela avant de les perdre. Mais ce résultat est le fruit de mon travail de plusieurs mois, j’ai développé un poker solide et enfin je gagne gros !! Personne ne le voit ou s’en réjouit. Allez parcourir un peu les forums des clubs de poker et vous verrez que dans les parties analyses de main il y a beaucoup de recherche de reconnaissance. Dans le jargon on appelle cela du « brag », en clair de la vantardise qui n’a qu’un but : la reconnaissance de ses pairs. L’un racontera qu’il a payé avec hauteur As un 3barrels bluff d’un joueur large en tilt et a gagné un pot de 2340$ et postera cela dans la rubrique « Analyse » en demandant à tout le monde s’il a bien joué. Mais il le sait qu’il a fait un bon move, le bon move ! Il cherchera plus à glaner les commentaires gratifiants qui viendront se mêler avec les analyses complexes.

Pire encore est la solitude face à la perte et au fameux bad run. En fait ce manque de reconnaissance provient ni plus ni moins d’une solitude face à la réussite. Si elle est supportable, que dire du manque d’entourage face aux pertes ? La malchance accumulée à la fatigue nous a poussées à mal jouer. Ajouter à cela quelques problèmes relationnels avec sa copine et des pertes fantastiques s’affichent sur la courbe de notre bankroll. Dans ces moments, on recherche énormément le support et l’épaule d’autrui. Difficile d’entrevoir de l’aide de nos amis joueurs de poker qui eux sont en pleine bourre et n’ont qu’une envie : celle de nous raconter comment ils ont gagnés les plus gros pots de la semaine. Nos proches peu compréhensifs voient cet évènement comme une intervention divine qui nous poussera à retrouver le droit chemin : celui de la vie rangée de l’homme moderne : métro/boulot/dodo.

Accumulez toutes ces déconvenues et je crois que vous commencerez à sentir le blues du joueur de poker. Blues passager qui ne dure que le temps qu’on lui accordera. Blues qui sera vite effacé par la vie qui reste quand même enviable : celle du joueur gagnant. Ne serait-ce que sur un plan financier, quel bonheur de ne plus taper dans son compte courant pour partir en vacances, quel bonheur de dormir dans un intercontinental plutôt qu’au camping des flots bleus. Et tout cela aurait été beaucoup plus difficile sans le poker.
Keep Going

13 commentaires:

Sotica a dit…

Juste un mot... Magnifique

Andtherivercame a dit…

Merci! Avant Noël ca fait plaisir!

Anonyme a dit…

Un poil pessimiste tout ça, heureusement que ça finit sur une note d'espoir.

Rincevent a dit…

Nice post ;)

Stefal a dit…

Très beau billet. très bien écrit et tellement vrai!

Eiffel a dit…

excellent, très vrai !!! bonne analyse sans concession ! joyeux noel !!

nantais a dit…

Très bon article. Sur le fond mais également sur la forme.

Lesuperpanda a dit…

Pragmatique ! Nice one

Andtherivercame a dit…

LOL un commentaire du panda contre qui ou plutôt avec qui je grinde on Line. Bientôt un article sur mon séjour a Marrakech. Endroits ballas et poker! Cheers

brduke a dit…

Je découvre un peu tard ce très beau billet (non non, c'est pas pour flatter, je le pense), et comme déjà commenté, c'est la réalité.
"brag" : j'en découvre la signification. Quel affreux mot ! pourtant bien souvent appliqué...
GL à toi en 2011 !

Eiffel a dit…

no news, good news ?

Vieto a dit…

And the river never came back...

günstig mbt a dit…

Un corollaire du rythme de vie du joueur de poker est le décalage par rapport à la société. Le pro se lève vers 15h00 et commence son « travail » vers 20h/21h pour finir vers 4/5h du matin. Le semi pro est bien pire puisqu’il travaille. Donc après une belle journée de labeur, il faut rentrer faire la sieste afin de se préparer à sa session live ou internet qui nous occupera la nuit jusqu’au petit matin et nous permettra de dormir royalement 3 heures avant de repartir au boulot.

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